La révélation publique de la prise de participation, par LVMH, de 17,07% du capital d’HERMES à la fin du mois d’octobre 2010, a mis en évidence une défaillance de la réglementation boursière sur les franchissements de seuils.
LVMH, qui détenait déjà 4,93% du capital d’HERMES, a acquis près de 13% d’actions de cette société dans le cadre du terme de contrats d’equity swaps (« dérivés ») conclus avec des établissements financiers.
Lesdits contrats, qui prévoyaient à l’origine un débouclage en espèces, ont fait l’objet d’avenants, signés peu avant leurs échéances, permettant finalement le dénouement des opérations par une livraison physique des titres sous-jacents HERMES aux dérivés, au profit de LVMH qui en est ainsi devenue propriétaire.
Si LVMH a bien déclaré avoir franchi les seuils de 5%, 10% et 15% du capital d’HERMES le 27 octobre, certains ont néanmoins critiqué le fait que cette société n’assimile pas, préalablement à cette déclaration, les titres sous-jacents, alors propriété des établissements financiers, aux actions HERMES qu’elle détenait déjà.
Cette information, rendue publique, aurait eu le mérite d’assurer la transparence des prises de participation au capital d’HERMES en mettant en perspective la montée potentielle de LVMH audit capital.
En l’espèce, LMVH a bien respecté la réglementation relative aux franchissements de seuils, laquelle ne permet pas, pour la détermination d’un seuil, d’assimiler aux actions déjà détenues par un actionnaire, celles qu’il pourrait détenir en vertu d’un contrat d’equity swaps dont le débouclage s’effectuerait uniquement par un règlement en numéraire.
De surcroît, si l’ordonnance du 30 janvier 2009, qui a modifié ladite réglementation, oblige désormais un investisseur à rendre publique l’information relative aux dérivés qu’il détient dont le dénouement s’effectuerait exclusivement en espèces, cette information, séparée, a nécessairement pour corolaire le franchissement d’un seuil par l’investisseur.
Or, LVMH, qui détenait 4,93% du capital d’HERMES, soit moins que le premier seuil légal, n’avait pas l’obligation d’informer le marché sur ses dérivés portant sur des actions HERMES.
Cette position, en adéquation avec la réglementation boursière, est néanmoins critiquable car elle fait fi de l’influence économique réelle d’une partie à un contrat d’equity swaps, au capital d’un émetteur dont les actions constituent le sous-jacent dudit contrat.
Habituellement instruments de couverture ou de spéculation, les dérivés peuvent aussi servir des objectifs moins avouables comme la prise de contrôle de fait d’une société cotée.
Dans un premier temps, l’investisseur va prendre une participation dans ladite société inférieure au premier seuil légal de 5%. Puis il va conclure des contrats d’equity swaps avec différentes banques, lesdits contrats ayant pour sous-jacent des actions de la société cotée, chaque banque limitant ses achats à moins de 5% de ces actions.
Ainsi structurées, ces opérations se placent en dehors du champ de la réglementation des franchissements de seuils et restent alors totalement secrètes.
Bien que n’étant pas propriétaire des titres, sous-jacents des dérivés, l’investisseur, fort de sa position commerciale, peut donner des instructions de vote aux contreparties, propriétaires desdites actions prises en couverture.
Puis, l’investisseur, ayant obtenu le transfert des actions à son profit par un avenant stipulant que le dénouement s’effectuerait par un paiement en titres, se présente ensuite, à la surprise générale, à l’Assemblée Générale annuelle de la société cotée et, fort d’une participation significative, demande la désignation de ses représentants au Conseil d’Administration.
Enfin, l’investisseur déclare son franchissement de seuil à l’AMF dans les cinq jours suivants la date du transfert des titres, comme le lui permet le Règlement général de l’AMF.
Pour une meilleure transparence de l’actionnariat des sociétés cotées, des produits dérivés se dénouant exclusivement en numéraire doivent être pris en compte pour le calcul des franchissements de seuils dans lesdites sociétés. Le législateur devrait prochainement modifier la loi dans ce sens et l’aligner ainsi sur celle de l’Italie, l’Angleterre, la Suisse et les Etats-Unis[1].
Johann LISSOWSKI
Avocat au Barreau de Paris
[1] Pour un exemple des législations étrangères sur le contrat d’equity swaps voir : « Rapport sur les déclarations de franchissement de seuil de participations et les déclaration d’intention ». octobre 2008, consultable sur le site de l’AMF.