Affaire EIFFAGE: la décision de la Cour d’appel élargit la notion d’action de concert

avril 12th, 2008 Posted by Actualité juridique boursière, Uncategorized 0 thoughts on “Affaire EIFFAGE: la décision de la Cour d’appel élargit la notion d’action de concert”

L’arrêt rendu par la Cour d’appel le 2 avril 2008 relatif au litige opposant la société de BTP française EIFFAGE à son principal actionnaire espagnol, SACYR est un véritable « jugement de salomon »: les juges ont annulé, pour des questions de forme, la décision de l’AMF d’exiger de l’espagnol le lancement d’une OPA sur le français; sur le fond, ils reconnaissent l’action de concert formé par SACYR et 6 autres actionnaires espagnols d’EIFFAGE, malgré les dénégations de ces derniers.

Rappelons brièvement les faits: le 26 avril 2007, le régulateur avait considéré que l’OPE hostile lancée par SACYR (33,32% du capital) sur EIFFAGE n’était pas conforme à la législation en vigueur. En effet, l’AMF avait conclu à une action de concert entre le groupe espagnol et six autres actionnaires d’EIFFAGE, ces actionnaires franchissant ainsi le seuil de 33,33% du capital, ce qui devait les contraindre à lancer une OPA au lieu d’une OPE (une OPA coûte beaucoup plus chère à l’initiateur car elle se fait presque exclusivement en cash, contrairement à l’OPE qui se fait par échange d’actions).

SACYR avait alors fait appel , contestant cette action de concert.

Les juges du fonds ont donné raison à l’AMF puisque après avoir rappelé que « l’article L. 233-10 du Code de commerce (définition de l’action de concert: sont considérés comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d’exercer des droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société) précité n’exige pas que l’accord résulte d’un écrit, ni qu’il revête un caractère contraignant » les juges ont estimé qu’il y a eu « une démarche collective organisée », et ce, « nonobstant les déclarations en sens contraire des intéressés ».

Cette décision est intéressante en ce qu’elle: conforte l’AMF dans son rôle actif lorsqu’il s’agit de qualifier l’existence d’une action de concert (I); modifie le périmètre de la définition de l’action de concert (II).

I. Rôle actif de l’AMF dans la qualification d’une action de concert

l’AMF et avant elle le CMF ont toujours eu un droit de qualifier les accords entre actionnaires au regard de la notion d’action de concert à partir du moment ou cette notion d’action de concert conduit à l’application de certaines dispositions de son règlement (franchissement de seuil, OPA obligatoire).

Ainsi, même si les actionnaires peuvent déclarer agir de concert au travers un accord entre actionnaires, l’AMF conservait une faculté d’appréciation pour qualifier ou non l’existence de cette action de concert.

On se rappelle qu’en 1998, dans l’affaire BOUYGUES/BOLLORE, le CMF, à l’époque, avait été saisi par MM. Martin et Olivier BOUYGUES pour lui demander de prendre acte de l’inexistence d’une action de concert qui avait été précédemment déclarée entre eux et le groupe BOLLORE vis-à-vis de la société BOUYGUES. (Informations et Décisions n° 198C1042 en date du 13 novembre 1998, consultable sur le site de l’AMF).

Le CMF avait déclaré la fin de l’action de concert, la dématérialisant ainsi de l’accord écrit, cette action de concert ne pouvant résulter que de la volonté profonde des parties. A partir du moment, ou l’une des parties ne se sentait plus en accord avec l’autre, elle pouvait dénoncer l’action de concert, et ce, même si les accords écrits continuaient à avoir des effets juridiques.

Mais, il faut bien reconnaître que pendant très longtemps, l’AMF se contentait d’être une simple « chambre d’enregistrement » prenant acte de la volonté des parties d’agir ou non de concert.

La décision de la Cour d’appel ci-dessus est intéressante car elle légitime l’intervention de l’AMF dans son rôle actif tendant à qualifier l’existence d’une action de concert. Même si les parties déclarent ne pas agir de concert, ce qui était le cas en l’espèce, l’AMF dépasse son rôle de simple observateur et analyse si la situation révèle l’existence d’une action de concert.

On ne peut que se féliciter de l’attitude de l’AMF qui joue ici pleinement son rôle de « gendarme de la bourse ». Si souvent décriée par le passé pour sa trop faible propension à s’impliquer, l’AMF a, en l’espèce, pris toutes ses responsabilités.

Les velléités de l’AMF sont à saluer d’autant plus qu’elles ne semblent pas n’être qu’un effet sans lendemain: elle a qualifié elle-même une action de concert entre plusieurs actionnaires de la société GECINA et ce, malgré les dénégations de ces derniers.

II. Elargissement du périmètre de la définition de l’action de concert

L’article L. 233-10 du Code de commerce dispose que  » sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d’exercer des droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société ».

La décision de la Cour d’appel est innovante en ce qu’elle reconnait l’existence d’une action de concert entre des actionnaires, vis-à-vis d’une société, et ce même en l’absence d’accord écrit et oral entre les parties.

La Cour en effet, a estimé, sur la base des appréciations pertinentes du régulateur « que les acquisitions successives d’actions EIFFAGE par SACYR et par les six autres sociétés nommées ont procédé, non d’un simple parallélisme de comportement, mais d’une démarche collective organisée tendant à la poursuite d’une finalité commune consistant à se grouper pour apparaître en force, afin d’imposer, ensemble, par surprise, lors de l’assemblée générale extraordinaire d’EIFFAGE du 18 avril 2007, une recomposition à leur avantage du conseil d’administration leur permettant ensuite de réaliser le rapprochement entre les deux société(…) » .

La notion d’action de concert est clairement affinée.

En procédant ainsi, la Cour d’appel envoie un message très clair à l’encontre de ceux qui seraient tentés de procéder à des prises de contrôles « rampantes » en leur compliquant singulièrement la tache.

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